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Comptes rendus

Auteur: Joseph-Claude POULIN (2015)

Quand on essaie de nommer les qualités intellectuelles que permet de perfectionner une formation par l’histoire au niveau universitaire, le développement de l’esprit critique apparaît couramment en tête de liste. Quel meilleur moyen de s’initier à cette pratique que d’observer comment font les historiens professionnels entre eux ? Les comptes rendus (deux « s » au pluriel, pas de trait d’union !) fournissent en effet un observatoire privilégié de cet exercice bien institutionnalisé; car le compte rendu critique publié par un organe spécialisé remonte au moins au XVIIe siècle.

Exemples de périodiques spécialisés dans les comptes rendus
  • Journal des Savants (Paris), en cours depuis 1665;
  • Göttingische Gelehrte Anzeiger (Göttingen), en cours depuis 1739;
  • The Athenaeum. London Literary and Critical Journal (Londres), 1828-1921.
  • Annual Bulletin of Historical Literature. Critical Review of New Publications (Londres), en cours depuis 1913.
  • Gnomon. Kritische Zeitschrift für die gesamte Altertumswissenschaft (Berlin, puis Munich), en cours depuis 1925.
  • Anzeiger für die Altertumswissenschaft (Innsbruck), en cours depuis 1947.
  • Reviews in History. Covering books and digital resources across all fields of History (Londres): en ligne depuis 1996: http://www.history.ac.uk/reviews/about .
  • Trends in History. A Review of Current Periodical Literature in History. New York, 1979-1990.
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Les comptes rendus scientifiques de livres d’histoire, publiés par des organes spécialisés, constituent aujourd’hui une catégorie documentaire de grande importance dans le réseau de la communication savante chez les historiens de métier.

Pour en savoir plus

Dans certains champs, des historiens font même réimprimer, sous forme de volume, l’ensemble des recensions qu’ils ont fait paraître au cours de leur carrière; c’est une sorte de consécration du compte rendu comme outil scientifique. Ainsi,

  • Festugière, André-Jean. Études d’histoire et de philologie. Paris, 1975, 307 p.
  • Lecoy, Félix. Mélanges de philologie et de littérature romanes. Genève, 1988, 640 p.
  • Le Roy Ladurie, Emmanuel. Parmi les historiens : articles et comptes rendus. Paris, 1983 et 1994, 2 vol., 445 + 344 p.; un 3e volume annoncé n’a pas paru.
  • Poghosyan, Varuzhan. [ Parmi les historiens : recueil d’articles et de comptes rendus ]. Erevan, 2011, 263 p. (en russe).
  • Van Steenberghen, Fernand. La bibliothèque du philosophe médiéviste. Louvain / Paris, 1974, 537 p.
  • Tabacco, Giovanni. Medievistica del Novecento. Recensioni e note di lettura (éd. Paola Guglielmotti). Florence, 2007, XXX-780 p.
  • Weinreich, Otto. Ausgewählten Schriften, 1907-1970 (éd. Günther Wille). Amsterdam, 1969-1979, 3 vol.
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C’est là qu’est présentée, résumée, évaluée et hiérarchisée une grande partie de la production courante sous forme de livres. En effet, ces recensions critiques visent généralement des monographies ou des ouvrages collectifs récemment parus – moins souvent les manuels, dictionnaires, atlas ou instruments bibliographiques. Elles permettent au lecteur potentiel de se former un premier jugement sur le contenu, la qualité et la pertinence d’une étude, avant même de l’avoir consultée directement, à la lumière du jugement des pairs.

À ce titre, l’initiation au maniement du compte rendu fait donc bien partie de la formation fondamentale en histoire; car la simple présence d’un livre sur les rayons d’une bibliothèque universitaire ne suffit pas à garantir qu’il soit crédible et satisfaisant à tous égards. Plus encore, le compte rendu (même sous la forme d’un simple résumé, sans évaluation critique) aide à combler les lacunes des collections de bibliothèques; il permet en effet une sélection raisonnée de livres, même si ceux-ci ne peuvent être consultés directement dans l’immédiat.

Compte tenu de l’évolution récente des instruments de travail relatifs aux recensions en histoire, il convient maintenant d’accorder à la notion de compte rendu une portée assez large, incluant tant les résumés méthodiques de contenu (abstracts) que les évaluations critiques ou les résumés fournis par les auteurs eux-mêmes (Selbstanzeige).

Cet exposé de présentation traitera les trois points suivants, en autant de sections :


1) Qu’est-ce qu’un compte rendu en histoire et à quoi sert-il?

Idéalement, le lecteur d’une recension critique en histoire s’attend à y trouver deux choses : une analyse et une discussion d’une publication récente, c’est-à-dire :

  1. un résumé de contenu, une identification de l’objet et de l’objectif, un énoncé de l’hypothèse principale ou de la problématique (s’il y a lieu), une indication des fondements documentaires et des méthodes critiques, une description du schéma argumentatif, un condensé des conclusions principales, nouvelles ou utiles.
  2. une évaluation des points fort ou discutables, des qualités ou problèmes de méthode, de l’originalité ou des faiblesses de la démonstration, des lacunes ou fautes de détail, de l’apport à la connaissance du thème traité en regard de son historiographie. Tout reproche ou objection doit s’appuyer sur des exemples vérifiables.

Sauf exception, ce sont des publications sous forme de volumes qui reçoivent ce traitement, rarement des articles.

Dans sa forme la plus typique, le compte rendu d’un livre d’histoire prend la forme d’un essai critique relativement bref et dûment signé; l’évaluateur, choisi par la rédaction d’un organe spécialisé (revue savante, site Web), est présumément recruté pour sa compétence particulière dans un domaine donné. C’est ce type de contribution qui est habituellement inventorié dans les répertoires de comptes rendus. Dans le cas de simples résumés de contenu, sans prétention critique, le condensé est l’œuvre d’un membre (souvent anonyme) de l’équipe de rédaction.

Il est prévisible que les périodiques ou les sites Web spécialisés les plus directement concernés par un livre d’histoire pertinent à leurs centres d’intérêt en publient une recension – un an ou deux après sa parution; mais il peut en paraître aussi après un délai plus court ou plus long et à beaucoup d’autres endroits, parfois inattendus (en fonction des pratiques d’interdisciplinarité ou de l’impact médiatique sur un public élargi). Il faut donc apprendre à les repérer par l’intermédiaire d’instruments de travail spécialisés, et à s’en servir comme guides de lecture – sinon d’achat. Inversement, l’absence de tout compte rendu, après un certain nombre d’années, est un indicateur négatif quant à l’intérêt ou la qualité d’un ouvrage, notamment dans le cas d’une étude spécialisée.

Quand elles sont jugées d’intérêt par les spécialistes, les monographies font l’objet d’au moins une recension; mais l’existence d’un compte rendu (neutre ou élogieux) ne suffit pas à elle seule à garantir la qualité d’une étude. Les recensions doivent évidemment être à leur tour évaluées de façon critique, selon qu’elles correspondent plus ou moins bien à ce qu’on attend d’un tel exercice et en fonction de la compétence particulière reconnue à son auteur ou du soin qu’il a mis à s’acquitter de sa tâche d’évaluateur.

Par l’intermédiaire des comptes rendus, il devient possible de prendre connaissance à distance du contenu des travaux d’historiens et des réactions du public savant; la confrontation des commentaires de plusieurs lecteurs experts permet en outre d’apprécier plus finement les mérites de telle ou telle étude du point de vue des connaissances, des méthodes et des interprétations. En pratique, les comptes rendus aident à déterminer s’il vaut la peine de dépenser de l’énergie pour consulter un livre (commander, réserver, faire venir par le prêt entre bibliothèques, etc.).

En plus d’introduire à la dimension critique du travail de l’historien, le recours aux comptes rendus permet parfois de surmonter des obstacles linguistiques. En effet, des recensions ou résumés en français ou en anglais fourniront une première prise de contact avec des publications parues en d’autres langues moins accessibles. Certains organes ont d’ailleurs comme politique de publier des comptes rendus dans une langue autre que celle de la publication évaluée, afin d’élargir son rayonnement.

Pour en savoir plus

C’est ainsi qu’un nombre important de recensions en français d’ouvrages historiques en allemand paraissent couramment sous l’égide de revues telles que

    • Francia. Forschungen zur westeuropäischen Geschichte (Munich et alii, en cours depuis 1973; par Internet seulement depuis 2008 : http://www.perspectivia.net/publikationen/francia/francia-recensio );
    • Ou la Revue de l’Institut français d’histoire en Allemagne (Göttingen, puis Francfort, en cours depuis 1993; par Internet depuis 2009 : http://ifha.revues.org/275 ).

Un service équivalent pour les langues non occidentales est rendu par la Revue bibliographique de sinologie (Paris, pour les années 1955-2005).

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En outre, les comptes rendus sont le lieu où se noue une conversation publique entre les auteurs et leurs lecteurs. Certaines publications élargissent cette tribune en accueillant de bon gré (ou même en les sollicitant) les réactions des historiens évalués; ainsi dans l’American Historical Review (sous la rubrique « Communications ») ou sur le site Web Reviews in History (http://history.ac.uk/reviews) ─ en sus de toute réclamation d’un droit de réplique quasi judiciaire par tel auteur qui s’estimerait injustement traité par son recenseur. Collectivement considérées, les recensions critiques fournissent ainsi un forum de débat d’idées et conduisent parfois à la création de groupes de discussion sur Internet (ainsi pour H-Net).

Pour en savoir plus
  • Stephen K. Donavan, « A Letter to the Editor : Comment, Reply, and Etiquette », dans : Journal of Scholarly Publishing, 47 :2 (2016), p. 213-216.
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Enfin, les recensions constituent la veille critique de la profession; cette veille est d’autant plus nécessaire que la production courante est surabondante, polyglotte et dispersée. Car la prolifération des études historiques ne s’explique pas seulement par la vitalité spontanée du monde des idées ou le dynamisme naturel de la recherche; s’y entremêlent aussi des considérations de carrière des auteurs (Publish or Perish), administratives (questions d’histoire liées à des concours de recrutement) ou commerciales (de la part de maisons d’édition ou des fabricants de réimpressions).


2) Comment repérer et où lire les comptes rendus d’ouvrages d’histoire?

Dans une perspective d’élargissement de l’horizon documentaire au-delà des ressources propres d’une bibliothèque universitaire donnée, les moyens de communication informatisés s’ajoutent maintenant à l’instrumentation imprimée des historiens; mais l’utilisation concomitante des deux modes de diffusion s’impose pour maintenir un équilibre satisfaisant dans l’évaluation de l’accueil fait à la production passée et courante en histoire.

Les comptes rendus paraissent traditionnellement dans des revues historiques, généralistes ou spécialisées. Certaines revues d’histoire ont fait le choix de ne publier aucun compte rendu.

Exemples de revues d'histoire qui ne publient pas de compte rendus
  • Mediaeval Studies (Toronto), depuis ses débuts en 1939;
  • Revue d’histoire des textes (Paris), depuis ses débuts en 1971;
  • Traditio. Studies in Ancient and Medieval History, Thought, and Religion (New York), après son tome 8 (1952).

En outre, certains instruments bibliographiques ne référencent qu’une petite partie des recensions publiées; ainsi Historical Abstracts, qui ne signale que les comptes rendus les plus substantiels.

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Mais la plupart entretiennent une rubrique permanente plus ou moins développée, placée en fin de numéro, sous le titre « Comptes rendus », « Reviews », « Buchsprechungen », « Reseñas », « Rendiconti », « Besprekingen », etc. Les plus grandes revues en font paraître plusieurs centaines par année.

Certains périodiques ne publient d’ailleurs que des comptes rendus.

Compte tenu de l’abondance de la production à évaluer, certaines revues divisent leur tribune critique en deux parties :

  • une première partie de comptes rendus développés, en quelques paragraphes ou quelques pages pour chaque livre;
  • une seconde fournit des présentations ou évaluations en un alinéa, pour les ouvrages moins marquants de leur point de vue.

Ces deux sections portent en conséquence des intitulés différenciés : « Comptes rendus / Notes bibliographiques »; « Book Reviews / Shorter Notices »; « Recensioni / Schede bibliografiche »; « Rezensionen / Bibliographische Anzeigen », « Reseñas / Notas críticas », etc.

L’outillage informatisé rend des services remarquables dont il faut savoir profiter, conjointement avec les instruments imprimés.

Pour en savoir plus
  • McGrath, Eileen L. et alii, « H-Net Book Reviews : Enhancing Scholarly Communication with Technology », dans : College & Research Libraries, 66 :1 (2005), p. 8-19 (http://crl.acrl.org )
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Mais l’approche par l’informatique comporte aussi des limitations qu’il faut connaître et travailler à compenser :

  • Les revues imprimées sont engagées dans une transition vers le Web (avec ou sans maintien du mode imprimé); leurs comptes rendus deviennent ainsi consultables en ligne, au moins pour les années les plus récentes. Pour les débuts de collection, il faut parfois encore se reporter aux versions imprimées; paradoxalement, le rattrapage par rétro-numérisation est plus avancé pour les revues savantes antérieures à 1900 – par exemple sur la page « Gallica » du site de la Bibliothèque nationale de France.
  • Dans certains cas, les années les plus récentes d’un périodique spécialisé ne sont pas mises immédiatement en ligne dans une bibliothèque électronique de revues, afin de ne pas nuire à la commercialisation de la version imprimée; ce délai de mise à disposition (moving wall) peut durer de trois à cinq ans (chez JSTOR, par exemple). Mais bon nombre de titres y donnent maintenant à leurs abonnés traditionnels un accès immédiat aux numéros les plus récents.
  • Une distorsion importante est causée par la place occupée par des recensions en anglais de livres d’histoire publiés en anglais; ce décalage s’explique en bonne partie par le nombre beaucoup plus élevé de livres d’histoire publiés en anglais. Les historiens de langue allemande trouvent cependant à s’alimenter par Internet à des comptes rendus de livres d’histoire (toutes périodes confondues) où s’accumulent déjà des milliers de recensions.
Pour en savoir plus
  • Sehepunkte. Rezensionsjournal für die Geschichtswissenschaft (Munich / Mayence), en cours depuis 2001; 12 livraisons par an; plus de 18,000 recensions archivées en août 2023 (http://www.sehepunkte.de )
  • H|Soz/Kult. Communication and Information Services for Historians (Humboldt Universität, Berlin), en cours depuis 1997; plus de 1000 comptes rendus par année (http://www/hsozkult.de), pour des ouvrages parus depuis 1983.
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Enfin, les apprentis historiens pourront élargir leurs horizons au-delà des revues savantes à caractère historique afin d’incorporer d’ autres instruments qui rendent compte d’une sélection de la production courante.

Autres instruments

Les apprentis historiens pourront élargir leurs méthodes de travail afin d’y incorporer d’autres instruments qui rendent compte d’une sélection de la production courante :

  • destinés à un public plus large, comme
    • New York Review of Books (New York, depuis 1963).
    • Times Literary Supplement (Londres, depuis 1902).
    • La vie des idées (Paris, Collège de France; http://www.laviedesidees.fr , sous l’onglet « Histoire »), en ligne depuis 2007.
    • La Cliothèque (Paris : http://clio-cr.clionautes.org/index.php): veille éditoriale en histoire et en géographie.
    • Le Blog des livres (sur le site de la revue La recherche, Paris : http://larecherche.typepad.fr/le_blog_des_livres/ ), en ligne depuis 2008.
  • ou apparentés à des disciplines ou approches connexes : sociologie, science politique, littérature, démographie, religion, économie, art, droit, etc.
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3) Comment accéder aux comptes rendus?

L’accès aux comptes rendus ou résumés de contenu de livres d’histoire emprunte deux voies principales :

a) une première famille d’instruments de travail donne un accès indirect aux recensions; elle permet seulement de découvrir l’existence – et la référence ! – des comptes rendus existants. Il reste donc à aller les lire dans les publications qui les ont fait paraître. Les outils de cette catégorie comptent :

  • soit des publications entièrement consacrées à la compilation de listes de recensions (de type Index to Book Reviews),
  • soit des instruments bibliographiques généraux qui incluent des comptes rendus dans leurs relevés; les références aux recensions sont habituellement placées à la suite de la description signalétique de chaque ouvrage concerné.

b) une seconde famille offre un accès direct aux recensions ou résumés, dans des véhicules variés, tels que :

  • certains instruments bibliographiques, qui accompagnent les descriptions signalétiques d’un bref résumé de contenu – avec ou sans appréciation critique. Ces résumés peuvent s’appliquer aux articles aussi bien qu’aux livres.
  • des revues spécialisées, entièrement consacrées à la publication de recensions de livres d’histoire, à l’exclusion de tout autre travail.
  • des collections informatisées de comptes rendus, entièrement consacrées à la diffusion et à l’archivage de recensions qui n’existent pas sous forme imprimée; ces essais critiques sont mis en ligne à intervalles rapprochés, ce qui leur permet d’échapper aux contraintes du monde de l’imprimé (délai de publication, longueur des évaluations).
  • des bibliothèques électroniques de revues imprimées, qui donnent accès à tout leur contenu, y compris les comptes rendus, lisibles directement en ligne, habituellement moyennant un abonnement que seules les bibliothèques universitaires peuvent s’offrir.

En pratique, ces deux familles tendent toutefois à se confondre, car plusieurs instruments bibliographiques hybrides donnent à la fois :

  • directement, des résumés de contenu ou caractérisations succinctes, et
  • indirectement, la référence à des recensions parues ailleurs.

Chacune de ces deux familles compte des publications à caractère général ou spécialisé, imprimées ou informatisées; il faut apprendre à combiner leurs services, car aucun instrument ne peut tout couvrir à lui seul. La diffusion informatisée des recensions ou résumés ne rend pas caducs les véhicules imprimés; elle les relaie puissamment, amplifie leur impact et complète leur action par son apport propre.

On commence à voir apparaître dans les catalogues de bibliothèques de recherche des références à des comptes rendus d’ouvrages acquis récemment (UQAM, McGill, Sherbrooke).

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